Une gueule de bois en plein creux de janvier

Imprimer

Edition 26.01.2022 – Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen

Martin Neff –Chef économiste de Raiffeisen
Martin Neff – Chef économiste de Raiffeisen

Les opérateurs du marché boursier avaient certainement imaginé un début d'année différent. Jusqu'à présent, le mois de janvier a contrecarré tous ceux qui croyaient que l'évolution de la bourse était une voie à sens unique, à savoir ascendante. On ne peut qu'espérer que l'effet dit de janvier ne s'appliquera pas à l'année en cours. Il suppose en effet que les actions affichent souvent de meilleurs résultats au cours du premier mois de l'année civile que durant les mois restants de l'année.

Cet effet ne résiste certes pas à une vérification empirique; mais l'empirisme est une chose, la psychologie en est une autre et actuellement c'est sans doute cette dernière qui l'emporte.

Aux Etats-Unis, c'est avant tout la crainte de l'abandon du soutien de la politique monétaire qui engendre actuellement une certaine nervosité. Malgré l'inflation qui échappe depuis quelque temps à tout contrôle, les investisseurs américains ne s'en étaient pas trop inquiétés. La Réserve fédéral américaine était en effet clairement disposée à tolérer temporairement des taux d'inflation légèrement plus élevés. Mais entre-temps, il ne s'agit plus seulement de la forte augmentation du niveau des prix à la consommation à un niveau que les acteurs du marché avaient d'ailleurs été loin d'imaginer il y a encore 12 mois. A présent, c'est avant tout la durée de la hausse qui affecte la sérénité des marchés. Ce ne serait pas la première fois qu'une banque centrale évalue mal l'inflation. Dans les faits, cela a pratiquement toujours été le cas ces dernières années et c'est pourquoi l'un ou l'autre acteur du marché se demande à présent ce qu'il pourrait advenir si la Réserve fédérale américaine venait à conclure qu'elle est en retard sur l'évolution du marché. Ne rien faire et attendre une détente prochaine lorsque l'inflation est à 5 % c'est déjà suffisamment violent, mais se la jouer cool quand le taux annuel des prix à la consommation aux Etats-Unis culmine à 7 % en décembre semble vraiment exagéré. Et c'est à présent aux différents prévisionnistes de se surpasser. Des banques américaines renommées tablent même sur un rythme des relèvements de taux à couper le souffle pour le marché, ce qui est précisément le cas. Alors que l'on pensait initialement qu'il suffirait de deux relèvements des taux au deuxième semestre, les opérateurs sont aujourd'hui nombreux à adopter un autre point de vue et à tabler premièrement sur des relèvements de taux bien plus nombreux et deuxièmement sur des relèvements bien plus importants, autrement dit 50 points de base au lieu des 25 points de base homéopathiques habituels. 

L'un ou l'autre investisseur s'interroge à présent aussi sur les valorisations. Car cela fait longtemps que les actions ne sont plus bon marché et il n'est donc guère surprenant que les valeurs technologiques aient particulièrement souffert. Trop longtemps les marchés financiers ont pensé que tout aléa n'était dû qu'à des effets spéciaux ou à des phénomènes passagers. Ils semblent avoir revu leur façon de penser. La sensibilité même à l'égard des données macroéconomiques a augmenté et les foyers de crise mondiaux sont pris un peu plus au sérieux qu'avant. A cela s'ajoute Omicron qui n'est certes pas aussi dangereux que le variant Delta du coronavirus, mais qui semble en revanche assez tenace. Les confinements ne sont évidemment pas à l'ordre du jour, mais c'est le cas des difficultés de livraison et d'approvisionnement. Au cas où la Chine envisagerait de poursuivre sa politique de zéro Covid, les opérateurs des marchés boursiers s'inquiètent sérieusement des conséquences. Car la chaîne internationale de création de valeur pourrait de nouveau en être affectée, ce qui se traduirait par une hausse des prix à la production et ferait repartir de plus belle la discussion relative à l'inflation. Et je ne parle même pas du bruit de bottes aux frontières de l'Ukraine et des grosses incertitudes qui planent autour de Vladimir Poutine. Et même si les marchés ne se soucient habituellement pas des questions politiques, le mot guerre qui fait désormais partie des discussions autour de l'agenda du président russe engendre un certain malaise, même chez les opérateurs des marchés boursiers. Dans un premier temps, nous allons devoir digérer ce cocktail après un changement d'année bien arrosé, puisqu'il s'agissait de fêter une performance annuelle exceptionnelle. Au cours d'une année où les fêtes étaient en principe interdites, la bourse a multiplié les célébrations. Cette période semble à présent révolue. L'heure est désormais à la gueule de bois. Voyons si elle s'estompera aussi vite qu'elle est apparue. J'ai quelques doutes à ce sujet.