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Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen

Edition 29.01.2025

Fredy Hasenmaile

Fredy Hasenmaile

Chef économiste de Raiffeisen

Un premier pas a été franchi

La pénurie de logements dont nous sommes responsables va encore nous occuper longtemps. Le nombre de logements en construction est toujours insuffisant pour répondre à la demande. Seule la reprise de l’activité de construction sera à même d’atténuer, à moyen terme, la forte hausse des loyers qui pousse bon nombre de locataires au désespoir. Mais de nombreux obstacles qui entravent la densification et la construction de logements doivent cependant être éliminés à cet effet. Une première digue a sauté en septembre 2024 et l’affaire est passée relativement inaperçue dans les médias.

 

Le Tribunal fédéral à l’origine du problème

Je veux parler de la législation sur le bruit, dont l’interprétation étonnamment stricte par le Tribunal fédéral en 2015 a bloqué la construction de milliers de logements en Suisse. Que s’est-il passé? Pendant des années, les services cantonaux de l’urbanisme ont appliqué une solution pragmatique, celle de la pratique dite de la fenêtre d’aération, qui tentait de satisfaire à la fois à la législation sur le bruit et à la construction d’immeubles résidentiels à des emplacements urbains exposés au bruit. Dans l’esprit de la densification, cette pratique a autorisé des projets de constructions sur des sites exposés, dans la mesure où les valeurs limites de bruit des locaux sensibles étaient respectées à au moins une fenêtre. Mais par son arrêt de 2015, le Tribunal fédéral a entravé cette pratique de la fenêtre d’aération et exigé que les valeurs limites d’immissions de bruit soient en principe respectées à toutes les fenêtre des pièces sensibles au bruit.

Le verdict du Tribunal fédéral a certes admis des exceptions, mais de tels écarts par rapport à la construction conforme aux règlements ouvrent grand la voie aux recours des voisins à l’affût de la moindre occasion pour empêcher le projet de construction. Fin 2023, dans la seule ville de Zurich plus de 3000 logements étaient bloqués par des oppositions pour cause de bruit, selon la maire Corine Mauch. Les milieux politique n’ont pas tardé à réagir après l’arrêt du Tribunal fédéral. En 2016, le conseiller national Beat Flach a présenté une motion exigeant de modifier la loi dans le but de revenir à l’ancienne pratique largement reconnue. L’Assemblée fédérale a alors transmis au Conseil fédéral le mandat d’adapter la loi sur la protection de l’environnement en conséquence, mais celui-ci a rejeté la motion. Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication dirigé par Simonetta Sommaruga qui était compétent en la matière est longtemps resté inactif et envisageait plutôt de nouveaux durcissements. Ce n’est qu’après avoir laissé traîner les choses de façon scandaleuse pendant six ans, que le Département a transmis au Parlement le message concernant la modification de la loi sur la protection de l’environnement (LPE).

 

La note pour avoir fait traîner les choses

La pratique consistant à faire capoter les projets était cependant une victoire à la Pyrrhus. Car l’an dernier, le Parlement a opté pour une solution qui va désormais même au-delà de la réintroduction de la pratique de la fenêtre d’aération. Désormais, il suffit qu’au moins la moitié des locaux d’habitation dans les constructions neuves disposent d’une fenêtre pour laquelle les valeurs limites en matière d’émissions sonores sont respectées. En cas d’installation d’une ventilation contrôlée, même cette disposition minimale est caduque, pour autant qu’une climatisation permette de rafraîchir les pièces en été.

La législation sur le bruit est un bon exemple de la manière dont des réglementations exagérées peuvent avoir des conséquences inattendues. L’électeur n’a pourtant jamais approuvé une telle pesée des intérêts entre protection contre le bruit et densification des logements. La loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) qui inclut la protection contre le bruit a été adoptée par les Chambres fédérales en 1983 et est entrée en vigueur en 1985, sans avoir été soumise à un référendum. L’ordonnance sur la protection contre le bruit qui a suivi n’était finalement qu’une affaire purement administrative, dont le Conseil fédéral n’a sans doute pas mesuré la portée, lorsqu’il l’a approuvée en 1986.

 

Uniquement un premier pas

Malgré la percée concernant la problématique du bruit, le chemin reste encore long avant qu’une détente sensible ne soit perceptible sur le marché du logement. Les adversaires de la densification intérieure prompts à engager des recours disposent d’autres instruments pour retarder les projets de construction pendant des années, par exemple l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS) ainsi que le droit de recourir massivement étendu par le Tribunal fédéral. Deux à trois années supplémentaires vont sans doute s’écouler selon l’Office fédéral de l’environnement jusqu’à ce que les nouvelles règles sur la protection contre le bruit entrent en vigueur. Dans un premier temps, les nouvelles dispositions devront être intégrées dans une ordonnance qui fera ensuite l’objet d’une procédure de consultation.

 

Il n’y a pas de victoires faciles

Aucune solution rapide n’est par ailleurs en vue dans d’autres problématiques. Quand on pense que la problématique du bruit a finalement bloqué la construction pendant plus d’une décennie, la patience est de mise. Il existe certes des idées pour remédier à la pénurie de logements, mais aucune d’entre elles ne pourrait faire effet à court terme. Un parcours difficile au travers des instances législatives s’annonce afin de corriger tout dysfonctionnement supplémentaire. Des lois et des ordonnances doivent en effet être adaptées. Le retour de la légitimation à recourir à la pratique initiale que le Tribunal fédéral avait massivement étendue avec deux arrêts en 2011 et 2017 ne constitue qu’un début. Le conseiller aux Etats Andrea Caroni a déposé un postulat en ce sens en 2024. Le chemin est donc encore long, mais un premier pas a été franchi.

Fredy Hasenmaile

Fredy Hasenmaile

Chef économiste de Raiffeisen

Depuis 2023, Fredy Hasenmaile est chef économiste de Raiffeisen Suisse et responsable du service Economic Research de la Banque. Avec son équipe, il analyse les évolutions de l’économie et des marchés financiers en Suisse et dans le monde, et il est chargé de l’évaluation de l’actualité économique et des prévisions relatives aux chiffres économiques clés.