Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen
Edition 27.11.2024
Fredy Hasenmaile
Chef économiste de Raiffeisen
La stabilité ne va pas de soi
Récemment, un entrepreneur qui a passé la majeure partie de sa vie professionnelle à l’étranger estimait que la Suisse était un îlot des bienheureux. Les Suissesses et les Suisses n’auraient souvent pas conscience du niveau incroyablement élevé qu’ils ont atteint en matière de prospérité, de qualité de vie et de fonctionnalité des infrastructures. Certains des problèmes qui nous énervent en Suisse ne susciteraient que des rires incrédules à l’étranger. J’entends de plus en plus souvent de tels propos ces derniers temps.
Le partenariat social requiert de la compréhension
La situation exceptionnelle de la Suisse n’est cependant pas acquise. Il suffit de voir l’Allemagne pour comprendre que la chute peut être très rapide, lorsque les facteurs de réussite déterminants ne sont pas entretenus. À l’instar de notre voisin septentrional, l’économie est également une source centrale de prospérité en Suisse. Elle assure un emploi et un revenu à la population en échange d’un effort de travail, d’un engagement et de la créativité. La compréhension mutuelle du monde de l’entreprise et de la société est essentielle pour que ce partenariat social fonctionne. Or les tensions se multiplient à cette interface. La population ne comprend plus autant l’économie qu’autrefois.
Un éloignement croissant
L’évolution du paysage médiatique pourrait en être l’une des raisons. Les questions économiques jouent un rôle de plus en plus faible dans les canaux d’information préférés de nombreuses personnes. À cela s’ajoutent les initiatives, telles que l’initiative sur les multinationales responsables, qui jettent un soupçon généralisé sur les entreprises. L’économie est parfois présentée comme un mal qui génère ses bénéfices sur le dos de la société et de l’environnement. Les expériences que j’ai glanées au cours d’innombrables rencontres avec des entrepreneurs de toute branche et de toute taille sont très différentes. Des personnalités aux grandes qualités de leader et avec une vision claire des investissements à réaliser veulent saisir des opportunités, créer et obtenir des succès économiques. Avec cet esprit d’entreprise, ils sont également disposés à prendre des risques. Ils prennent les problèmes de notre époque à bras-le-corps, qu’il s’agisse des émissions de CO2 ou de la transition énergétique. Et ils voient plutôt les opportunités que les risques. Je suis toujours très confiant après de telles rencontres empreintes de dynamisme et d’optimisme. C’est grâce à cet esprit d’entreprise que la Suisse prospère. Dans la mesure du possible, nous devrions éviter de dresser des obstacles sur le chemin des entreprises et plutôt nous interroger sur leurs besoins pour rester performantes. C’est précisément ce que nous avons déterminé dans une enquête auprès des entreprises moyennes et grandes en septembre de cette année. Plus de 200 membres de la direction, administrateurs et entrepreneurs nous ont donné des réponses claires que nous avons synthétisées dans le Rapport sur les opportunités 2025.
L’excès de réglementation gêne les entreprises
Ceux qui pensent que les entreprises souhaiteraient des baisses d’impôts ou davantage d’aides de l’Etat se trompent. Les entreprises ne souhaitent rien tant que de la tranquillité. Dans un environnement difficile marqué par les bouleversements technologiques, un franc fort, la pénurie de main-d’œuvre ainsi que les cyberrisques et les incertitudes géopolitiques, les entreprises souhaitent se concentrer sur leur métier de base. Or c’est précisément cette aspiration qui est compliquée par une avalanche réglementaire sans cesse croissante et par la bureaucratie qui en découle. Les initiatives et les nouvelles prescriptions obligent les entreprises à effectuer des ajustements coûteux, restreignent leur flexibilité et n’atteignent de surcroît que rarement les objectifs visés. Dans leur grande majorité, les entreprises ne sont pas non plus intéressées par les subventions et les mesures d’encouragement et votent globalement en faveur d’une moindre influence des instances étatiques. Il n’y a que dans la politique de formation que les entreprises souhaitent plus de soutien. Le fait que les entreprises plaident pour un rôle plus actif de la politique dans ce domaine coïncide avec la perception de la pénurie de main-d’œuvre comme un obstacle à la croissance.
La stabilité favorise le dynamisme
Les résultats de notre enquête soulignent toute l’importance de la stabilité. A la question du principal atout de la Suisse, les entreprises ont, dans leur grande majorité, répondu qu’il s’agissait de la stabilité économique et politique. Le marché du travail libéral qui se classe deuxième totalise quatre fois moins de réponses. Cette perception confirme d’autres travaux de recherche qui insistent sur l’importance de la prévisibilité des conditions-cadres économiques. La fiabilité et la confiance qui en résulte sont indispensables pour les investissements et la dynamique économique. C’est précisément cette stabilité des conditions-cadres que l’économie juge menacée par les nombreuses demandes de changement et l’activisme d’une armée proliférante de fonctionnaires. Ces dernières années, le nombre de réglementations a fortement augmenté dans de nombreux domaines (environnement, questions sociales, droits de l’homme). La Suisse applique ainsi des réglementations qui ont généralement été adoptées précédemment par l’UE. L’Allemagne vous salue. Notre enquête est un avertissement clair à la politique pour qu’elle préserve l’atout «stabilité» du site Suisse et qu’elle fasse preuve de circonspection lors de l’élaboration des réglementations. C’est la stabilité qui permet à notre économie d’être dynamique.
Fredy Hasenmaile
Chef économiste de Raiffeisen
Depuis 2023, Fredy Hasenmaile est chef économiste de Raiffeisen Suisse et responsable du service Economic Research de la Banque. Avec son équipe, il analyse les évolutions de l’économie et des marchés financiers en Suisse et dans le monde, et il est chargé de l’évaluation de l’actualité économique et des prévisions relatives aux chiffres économiques clés.